États-Unis/Russie: vers une nouvelle course aux armes nucléaires?

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Donald Trump risquerait de relancer une course aux armes nucléaires avec la Russie s’il obtenait un second mandat. Elle serait perdue d’avance pour lui.

S’il est réélu, Donald Trump prévoit de relancer la course aux armements nucléaires quelques semaines après le début de son second mandat.

Le New START, le nouveau traité de réduction des armements stratégiques signé en 2010 par Barack Obama et le président russe de l’époque, Dmitri Medvedev, expirera le 5 février, à moins que les deux pays ne conviennent de le prolonger de cinq ans. Or, Donald Trump a déjà indiqué qu’il n’avait aucun intérêt à le prolonger, à moins que les Russes ne fassent certaines concessions sans aucun rapport avec le traité (et qu’ils n’auraient, de toute façon, aucun intérêt à faire).

D’après le site Politico, les collaborateurs de Marshall Billingslea, l’envoyé spécial du président américain pour le contrôle des armements, ont récemment demandé à des officiers supérieurs combien de temps il faudrait pour retirer des stocks les quelque milliers d’ogives nucléaires que les États-Unis possèdent et les charger sur des bombardiers à long rayon d’action ou des missiles sous-marins, si le programme New START venait à expirer. (Les États-Unis disposent de 1.750 têtes nucléaires sur de tels missiles et la Russie 1.500, mais les deux pays ont également plusieurs milliers d’autres têtes nucléaires en stock).

Une stratégie vouée à l’échec?

Un responsable a expliqué à Politico qu’en rendant la demande publique, l’administration Trump tentait «d’inciter les Russes à s’asseoir à la table des négociations». Cela serait cohérent avec plusieurs remarques faites par Marshall Billingslea. Au printemps, ce dernier avait par exemple déclaré: «Nous savons comment gagner ces courses [aux armements], et nous savons comment anéantir nos adversaires.»

Si Trump a l’intention de faire peser ses menaces lors des négociations, il va jouer à un jeu dangereux. Tout d’abord, et surtout en cette période économique de pandémie de Covid-19, il est impossible d’anéantir un adversaire sans s’anéantir soi-même.

Donald Trump ne peut rien menacer de faire en la matière que Vladimir Poutine ne soit capable d’égaler, voire de dépasser.
Ensuite, la Russie a encore plus d’armes nucléaires en stock que les États-Unis –entre 2.700 et 2.000 environ. En outre, les Russes ont modernisé plusieurs de leurs missiles nucléaires. Dans le cadre du traité New START, la Russie est tenue de se débarrasser des anciens missiles au fur et à mesure que les nouveaux sont déployés. Sans cela, elle pourrait donc tout simplement augmenter la taille de son arsenal. En revanche, les États-Unis ne prévoient pas de se doter de nouveaux bombardiers à capacité nucléaire ou de missiles nucléaires avant la fin de la décennie.

En d’autres termes, Donald Trump ne peut rien menacer de faire en la matière que Vladimir Poutine ne soit capable d’égaler, voire de dépasser. Compte tenu de ces circonstances, la stratégie de négociation de Trump est vouée à l’échec.

Agrandir l’arsenal américain n’est pas nécessaire

Troisièmement, les conditions posées par l’administration Trump pour accepter de prolonger le traité New START sont, du point de vue russe, excessives. Le traité de 2010 a réduit le nombre d’armes nucléaires russes et américaines à longue portée (c’est-à-dire les bombardiers et missiles ayant une portée suffisante pour attaquer le territoire de l’autre). Marshall Billingslea affirme que Trump ne prolongera pas le traité New START si les Russes n’acceptent pas les grandes lignes du futur traité, qui limiteraient également les missiles russes d’une portée plus courte. Il est peu probable que la Russie accepte de telles limites à l’avance, notamment parce que les États-Unis ont très peu de missiles à courte portée.

La Russie voudrait que les États-Unis limitent leur arsenal antimissile en échange de toute nouvelle réduction de son arsenal offensif; Trump a rejeté l’idée en bloc. Trump et Billingslea aimeraient aussi que la Chine prenne part aux prochains cycles de négociations. La Chine n’aurait aucun intérêt à le faire (et il est, de toute façon, étrange de l’inviter). L’arsenal nucléaire de la Chine représente environ un cinquième des arsenaux russe ou américain et elle n’est engagée dans aucune course aux armements avec ces deux pays. Cependant, les inviter à rejoindre des négociations trilatérales risquerait d’inciter les officiers chinois à exiger l’égalité en matière d’armement nucléaire, ce qui entraînerait une nouvelle course aux armements là où il n’y en a pas à l’heure actuelle.

Enfin, les États-Unis n’ont tout simplement pas besoin d’agrandir leur arsenal nucléaire. Durant les négociations autour du traité New START et lors du débat sur la ratification qui a suivi, aucun officier supérieur de l’armée américaine ne s’est plaint que le traité allait imposer de lourdes restrictions à l’arsenal nucléaire américain ou nuire à la sécurité nationale.

À vrai dire, peu après la signature du traité, plusieurs représentants du président Obama ont participé à un exercice d’un mois avec les hauts responsables du commandement stratégique américain afin d’examiner le plan de guerre nucléaire dans ses moindres détails et voir si, en cas de guerre nucléaire, toutes les cibles russes devaient être attaquées et combien d’armes américaines étaient nécessaires pour les détruire. Au final, il a été conclu que les États-Unis pouvaient réduire d’un tiers la taille de leur arsenal sans nuire le moins du monde à la sécurité nationale américaine (lors d’une discussion séparée avec Obama, les chefs d’état-major des armées ont déclaré qu’ils n’accepteraient une telle réduction que si les Russes réduisaient aussi leur arsenal. Je décris tout cela dans le chapitre 10 de mon livre The Bomb.)

Un traité limitant l’escalade entre les parties

Mais il y a encore une autre raison de conserver le traité New START. Les termes du traité comprennent de nombreuses dispositions relatives à l’inspection mutuelle, afin de vérifier qu’aucune des parties ne triche. Cela crée un espace permettant l’échange de données et la discussion en cas de différends. Ajoutons que dans la décennie qui a suivi la ratification du traité, les Russes s’y sont conformés (ce que reconnaissent même ceux qui accusent la Russie de tricher sur d’autres traités). Le traité limite aussi les projections pessimistes sur le nombre d’armes nucléaires que les Russes peuvent construire au cours de la prochaine décennie et, par conséquent, le nombre d’armes nucléaires que les États-Unis doivent commencer à construire. Sans traité, cette limite saute: les militaires américains vont dire que les Russes pourraient construire beaucoup plus d’armes nucléaires et, par conséquent, faire valoir qu’il leur faut à leur tour en construire beaucoup plus.

Malheureusement, lorsqu’il s’agit d’armes nucléaires, Donald Trump préfère les fanfaronnades et les épreuves de force au bon sens.
L’essentiel est là: personne ne dit qu’il faut que les États-Unis se dotent de plus d’armes nucléaires. Il serait donc beaucoup plus simple et moins onéreux de prolonger de cinq années encore le traité New START. Les Russes ont déclaré qu’ils étaient prêts à le faire sans condition. Les États-Unis n’auraient aucun intérêt à pousser la Russie vers une course aux armements.

Ce serait faire preuve de bon sens (et non de faiblesse) de maintenir en place les limites actuelles. Malheureusement, lorsqu’il s’agit d’armes nucléaires, Donald Trump préfère les fanfaronnades et les épreuves de force au bon sens. Une raison de plus de souhaiter qu’il ne soit plus président le 5 février.

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