« Le verbe libre ou le silence », de Fatou Diome, vibrant plaidoyer pour la liberté des écrivains

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L’écrivaine franco-sénégalaise Fatou Diome, membre de l’Académie royale de Belgique, plaide pour la liberté d’écriture et des écrivains dans son dernier essai intitulé « Le verbe libre ou le silence », paru en août dernier.

Ce livre de 185 pages édité par la maison d’édition française « Albin Michel » est un cri de cœur, un ras-le-bol de l’auteur sur une certaine attitude qu’elle nomme « la cavalière », ces éditeurs « censeurs, donneurs de directives et de leçons », qui sont certes « bien sûr respectables », mais qui selon elle restent « des commerçants ».

La romancière pose ainsi un débat sur la liberté d’écrire ou le silence et revient en large sur le plaisir d’écrire, estimant que l’écriture égale « liberté, plaisir et jubilation ».

Fatou Diome démarre son livre par une ode à l’écriture, délecte ses lecteurs de son plaisir d’écrire la nuit, une complicité avec cette dernière qu’elle partage avec des sommités comme que Balzac, Sembene Ousmane ou encore Shakespeare.

« L’acte d’écrire avait quelque chose d’une libération jubilatoire – On écrit pour aller d’urgence à l’essentiel – J’ai toujours pensé qu’écrire est l’une des façons les moins bêtes de perdre son temps. L’écriture n’est pas l’adversaire, mais le fidèle allié », martèle-t-elle dès le premier chapitre du texte, qui en compte sept.

Au fil des pages qui constitue cet ouvrage, la romancière défend la liberté des auteurs, de l’écriture et met au banc des accusés les éditeurs ou éditrices qui naguère avaient « pour mission d’accompagner une œuvre ».

« Désormais certains (…) mettent la main à la pâte pour plier le roman au goût du jour oubliant que le métier d’écrire est une aventure solitaire, un engagement de soi, vital et nécessaire », écrit Fatou Diome, ajoutant : « On écrit parce qu’on ne pourrait vivre sans ».

Pour celle dont l’écriture est de l’archéologie et pour qui il faut aller au fond des choses « le verbe libre, plus de vérité et moins de jeu de dupes ! la fraternité ne rassemble pas ».

Fatou Diome part d’une expérience « traumatisante » vécue avec une éditrice pour l’écriture de ce livre. Elle raconte cet échange téléphonique de la page 49 à la page 62.

« (…) J’ai choisi de m’occuper de toi. J’ai donc récupéré ton dernier manuscrit ; je l’ai même déjà lu (…) j’ai bien compris l’idée du livre, mais tu dois changer certaines choses, il faut que tu resserres… Tu dois enlever ceci…tu dois plutôt, ajouter cela… Il doit être comme ceci… Et comme cela… Donc, tu dois … il faut que tu… Il faut que… », écrit Fatou Diome.

Elle rapporte ainsi la conversation téléphonique qu’elle a eue avec cette cavalière qui a interrompu la danse de sa plume et transformé son écriture en un champ de bataille, un lieu d’asphyxie.

Pour l’auteur du roman « Le ventre de l’Atlantique », publié en 2003 aux éditions Anne Carrière, chacune des interventions de la cavalière sur son livre gâchait plusieurs nuits d’écriture, et pour la première fois, elle a pensé arrêter d’écrire, « du moins publier », précise-t-elle.

Révoltée contre ces bâtisseurs de cloisons

La romancière franco-sénégalaise n’en a pas seulement que contre ces éditeurs « cavalières censeurs ». Elle dénonce aussi cet acharnement de ces bâtisseurs de cloisons à tenir les écrivains dans une cage, s’opposant ainsi à ce qu’est fondamentalement la littérature, « un entrelacs de bras de mer qui naissent tous du même océan de l’existence humaine et convergent vers lui pareillement ».

Elle estime que la littérature n’est ni africaine, encore moins francophone ou féminine. « La littérature se soucie vraiment de l’ensemble du genre humain, toute barrière séparant l’humain de son frère n’est qu’une hérésie contre le projet littéraire lui-même », fait-elle valoir.

Selon elle, ces bâtisseurs de cloisons ne font pas du tort qu’aux écrivains, ils rétrécissent également l’horizon des lecteurs, en segmentant les œuvres proposées.

Elle s’élève contre ces « propos scandaleux » proférés à son encontre, notamment cette analyse de ce brillantissime homme de lettre, un polyglotte sur son livre « Inassouvies, nos vie » (2008), qui lui demande de faire « des livres moins complexes, moins philosophique et poétique, de plus joyeux, enfin un livre africain ».

« Il faut que vous nous écriviez de petites histoires sympathiques qui donnent envie de voyager en Afrique, ça intéressera plus le public. Et puis, vous avez un vrai talent de conteuse, faites-nous des œuvres typiquement africaines… », rapporte Fatou Diome à la page 83 du livre.

Elle estime que la littérature africaine ne sera adulte que lorsque les éditeurs, les critiques, les lecteurs et professeurs ne chercheront plus la confirmation de clichés caducs dans les textes, et se contenteront d’aller vers leurs livres simplement en quête d’une littérature de qualité.

» (…) Pourquoi un artiste européen aurait-il le droit de s’intéresser au monde entier et ses collègues africains, eux, seraient priés de rester cloîtrés dans les limites géographiques et thématiques de  leur continent ? », s’interroge l’écrivaine.

Dans l’essai « Le verbe libre ou le silence » où Fatou Diome assène ses vérités légitimes, le repérage des intertextes donne plus de sens et rallie à sa cause une longue liste d’écrivains remarquables et à qui elle rend hommage. Ainsi de Gabriel Garcia Màrquez, John Steinbeck, Daniel Keyes, le sage Cheikh Hamidou Kane, Sembene Ousmane qui « tronque son rendez-vous galant pour l’écriture », ou encore Léopol Sédar Senghor, Cheikh Anta Diop.

Comme dans son roman « Le ventre de l’Atlantique », dans cet essai, les mots sont entre flux et reflux au rythme des vagues et des rames dans l’Atlantique qu’est la littérature.

Fatou Diome se demande ainsi si la littérature ne court pas à sa perte, parce que beaucoup d’éditeurs n’écoutent plus que le marché.

Source : Sudquotidien

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