Dr Souleymane Lô, sociologue sur la violence : «Lorsque les citoyens perdent toute confiance dans les institutions, auprès des dirigeants politiques et autorités… cela engendre inéluctablement un sentiment de frustration»

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Une violence  inouïe et inhabituelle, contraire à la tolérance sénégalaise, est constatée ces derniers temps. Pour l’expliquer, le sociologue Souleymane Lô, indexe la perte de confiance envers les autorités religieuses et politiques, mais aussi des inégalités sociales à l’origine de frustration. Il y a aussi la politique politicienne, une approche de la politique qui met en avant les intérêts personnels ou partisans des politiciens au détriment de l’intérêt général ou le bien-être de la société.

 On a constaté dernièrement des actes de violences inhabituels et jusqu’ici inconnus de la société sénégalaise. Comment peut-on l’expliquer ?

Parler de la violence dans la société sénégalaise revient à décrire des comportements de plus en plus violents dont font montre les sénégalais dans toutes les sphères de la vie sociale. Une violence qui s’exprime sous différentes facettes, allant du verbe à l’acte et de la morale au psychisme. Cela suscite autant d’interrogations qu’il y a d’acteurs interpellés sur la recrudescence de la spirale de la violence, telle un engrenage de règlements de comptes dans lequel les jeunes, l’espoir de la nation, sont dangereusement huppés. Sont-ils ainsi volontairement violents ? Le sont-ils involontairement devenus ? Des réponses sont attendues, si l’on sait avec Socrate que “nul n’est méchant volontairement“.

En effet, l’adage aurait raison de dire que l’homme n’est que le produit de son milieu. Autrement dit, si l’on veut comprendre ou expliquer cette violence chez les jeunes, il convient nécessairement de s’interroger sur le contexte dans lequel ils évoluent. N’est-il pas ce contexte assez riche en facteurs favorisants des comportements violents, lesquels ne sauraient être autre que la résultante du désenchantement des jeunes qui présentent cette forte propension à la violence ? En effet, c’est, en partie, le désenchantement social et politique  qui explique la recrudescence de la violence chez les jeunes. Lorsque les citoyens perdent toute confiance dans les institutions, auprès des dirigeants politiques et autorités religieuses et n’ont plus d’espoir au système en général, cela  engendre inéluctablement un sentiment de frustration, de colère et d’impuissance, qui peut se manifester par des comportements violents. Et s’il s’agit de preuves pour s’en convaincre, en voici quelques explications sur la relation entre le désenchantement des jeunes et leur violence.

L’attitude de la population, surtout les jeunes, ne traduit-elle pas un déni de l’autorité étatique ?

Les jeunes, aujourd’hui, se sentent déçus voire  désenchantés par les politiques et les institutions qui sont censées les représenter et répondre à leurs besoins. Cet état de fait, non seulement est frustrant et désespérant mais les conduit à tenir des comportements violents par lesquels ils cherchent les  moyens de s’exprimer ou de se faire entendre. La Perte de confiance dans les institutions  les désenchantent parce qu’ils estiment que ces institutions sont corrompues, inefficaces, injustes ou déconnectées de leurs préoccupations ; d’où l’hostilité doublée d’actes de violence dont ils font constamment montre envers ces institutions et tous les symboles comme individus à travers lesquels elles leur ôtent toute perspective de vivre. Quand les décisions de justice obéissent à la volonté politique de l’exécutif en vers et contre le droit et l’opinion national et lorsque la volonté de la majorité ne vaut rien devant ces institutions, alors la réaction face à cette forfaiture ne peut être que violente. Si les jeunes deviennent de plus en plus radicaux et extrêmes, c’est parce qu’ils  se sentent marginalisés, exclus ou dévalorisés par le système existant, selon leur appartenance ethnique et ou politique.

C’est l’une des raisons pour lesquelles ils sont si vulnérables qu’ils se prêtent à toutes les idéologies extrémistes ou des mouvements radicaux qui promettent un changement radical et une réponse à leurs frustrations. Et souvent de telles idéologies peuvent inciter à la violence comme moyen de réaliser leurs objectifs et leur servir de verre d’eau dans lequel ils pensent pouvoir à jamais noyer leur chagrin. Ainsi, sous l’effet de la politique qui s’exprime injustement, à travers la puissance publique pour faire taire les voix discordantes parce qu’elles contestent et dénoncent les conditions d’exercice des lois et l’instrumentalisation des institutions, les jeunes adoptent cette posture de riposte jusqu’à même se faire violence sur eux-mêmes à travers l’immigration irrégulière dont l’issue incertaine conduit à la mort dans la plus part des cas.

Quel est la part des inégalités sociales dans cet essor de la violence ?

Le désenchantement des jeunes les conduit encore sur les voix escarpées de la violence, découle également des inégalités socio-économiques croissantes. En effet, lorsque  certaines parties de la société se sentent désavantagées ou exploitées, cela peut alimenter des sentiments de ressentiment et de colère, qui peuvent se manifester par des actes de violence. Cela est d’autant plus vrai que si l’on n’est pas du parti au pouvoir, on ne bénéfice d’aucun avantage ni droit  légalement pourvu. Dans ce Sénégal,  les opportunités d’emploi,  non seulement, sont rares mais elles sont sujettes à l’adhésion militante, pendant que les conditions de vie de l’écrasante majorité des jeunesses se détériorent et que leurs perspectives d’avenir demeurent sombre. Comment peut-on espérer à autre chose de mieux que le fait que tout cela puisse engendrer des tensions sociales et des explosions de violence ?

A cette situation s’ajoute l’horreur dans ce pays : la politique politicienne, cette approche de la politique qui met l’accent sur les intérêts personnels ou partisans des politiciens plutôt que sur l’intérêt général ou le bien-être de la société. Cela se manifeste par des manœuvres politiques opportunistes, des tactiques de manipulation de l’opinion publique, des promesses non tenues, la corruption, les conflits d’intérêts, etc. Sous ce rapport, la montée de la violence peut être influencée par plusieurs facteurs, et la politique politicienne en est parfois l’un d’entre eux.

Comment la politique politicienne peut-elle contribuer à la violence?

Voici quelques manières dont la politique politicienne peut contribuer à la montée de la violence :

La Polarisation sociale : la politique politicienne peut encourager la polarisation sociale en créant des divisions entre différents groupes de la société. Les politiciens exploitent les clivages existants, tels que les différences ethniques, religieuses, économiques ou idéologiques, pour mobiliser leur base électorale. Cela peut entraîner des tensions sociales et des conflits violents entre les groupes.

Le discours de haine : certains politiciens utilisent des discours de haine ou des discours incitant à la violence pour mobiliser leurs partisans ou délégitimer leurs opposants. Ces discours peuvent encourager l’hostilité, la violence verbale et parfois même la violence physique.

La manipulation de l’opinion publique : dans le cadre de la politique politicienne, certains politiciens peuvent manipuler l’opinion publique en propageant des informations fausses, en déformant la réalité ou en utilisant des tactiques de désinformation souvent avec la complicité des journalistes qui, volontiers, trahissent l’éthique et la déontologie qui régissent leur comportement. Cela peut créer de la confusion, de la méfiance et de l’animosité au sein de la société, ce qui  potentiellement conduit souvent à des confrontations violentes entre militants ou entre groupes sociaux de croyances opposées.

La corruption et l’impunité : la politique politicienne, en  favorisant la corruption et l’impunité chez les personnes qui soutiennent la politique du gouvernement, entraîne un mécontentement généralisé au sein de la population, surtout chez les jeunes. Et, dans certains cas, cela  se traduit par des manifestations violentes ou des émeutes.

La dégradation du débat public : le fait que la politique politicienne prédomine, le débat public s’en retrouve caractérisé par des attaques personnelles, des débats superficiels, le manque de respect mutuel et une faible qualité de discussion. D’où l’atmosphère de tension et de violence verbale dans la société à laquelle cette dégradation conduit.

Source : Sudquotidien

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