Le traitement de l’information par la RTS dans ses journaux télévisés fait l’objet de toutes les attentions pour ne pas dire de toutes les curiosités depuis la survenue de l’alternance le 24 Mars dernier. De nombreux observateurs du paysage audiovisuel étaient impatients et surtout curieux de voir comment les médias publics, la Télévision nationale en particulier allaient gérer la transition.
En fait, de l’indépendance à nos jours, jamais au Sénégal les médias publics n’ont dérogé à la règle bien établie, d’être au service exclusif du pouvoir en place. De Leopold Sedar Senghor à Abdou Diouf en passant par Abdoulaye Wade, les différents Directeurs des médias publics, qui sont en fait les garants de cette compréhension singulière du service public de l’information, n’ont jamais changé de trajectoire. Ils ont tous travaillé à installer au sein des rédactions Radio comme Télé, cette culture d’être au service exclusif du maitre, aidés en cela par une cohorte de journalistes qui en retour bénéficient de postes de responsabilités, les récalcitrants à défaut d’être mis au frigo sont écartés du traitement de toutes activités officielles.
Mais, ces 12 dernières années coïncidant avec le magistère du Président Sall et l’avènement d’un responsable du parti pouvoir a tête de la RTS ont été les pires dans l’histoire de la Radiotélévision Nationale. En effet, jamais le traitement de l’information dans ce média n’a autant fait la part belle au régime en place avec des événements couverts en direct à la pelle suivis de grosses tartes dans le JT de 20heures avec des commentaires dithyrambiques. Des capsules vidéo retraçant les activités du Chef de l’État durant la semaine, d’autres étalant les réalisations du gouvernement ont été diffusées régulièrement. On n’était pas loin des médias soviétiques du temps de l’URSS.
Aujourd’hui que Macky Sall a passé la main, finalement, plutôt que de s’attarder sur ce débat à fleurets mouchetés, qui fait plutôt sourire entre Walf et la RTS, l’occasion nous est donnée de poser les vraies questions sur le contenu du service public de l’information. Il faut reconnaitre que jamais au lendemain d’une alternance la question ne s’était posée de manière aussi flagrante, les mêmes pratiques ayant continué sans que cela ne choque personne. Si le débat est soulevé après cette alternance qui a porté au pouvoir Bassirou Diomaye Faye et le Pastef au pouvoir, c’est entre autres raisons, comme le souligne un confrère, que les journaux télévisés de la RTS ont plus parlé de Diomaye et Sonko pendant ces deux semaines, que pendant tout le temps qu’ils ont passé dans l’opposition. Et on ne peut pas dire que les occasions ont manqué. Ces douze dernières années, au plan médiatique en fait, l’opposition a été réduite à sa plus simple expression comme elle l’a été au plan politique. Aujourd’hui rendre compte à saturation de l’actualité du Président Diomaye et de son premier ministre Ousmane Sonko, bannis des médias publics, il y a de cela quelques jours sous le prétexte qu’ils sont les nouveaux hommes forts de ce pays, prête à sourire ; c’est une posture simpliste qui en définitive escamote le débat et ne saurait justifier l’attitude de la RTS envers ces anciens opposants. C’est pour éviter une telle situation plutôt cocasse qu’il urge de repenser l’audiovisuel public.
Loin de nous l’idée de jeter l’anathème sur les journalistes, qui c’est vrai, sans être exempts de reproches, ne sont pas tous, les vrais responsables de cette situation. Le vrai souci dans cette maison, que nous connaissons un tant soit peu pour y avoir vécu et connu des expériences au tout début des années 90, c’est le poids de sa hiérarchie qui pèse de toute son autorité sur la ligne éditoriale des rédactions, ne laissant presque aucune marge de manœuvre aux journalistes. Le paroxysme a été atteint avec la nomination d’un responsable du parti au pouvoir à la Direction Générale qui n’a pas fait dans la demie mesure dans le soutien apporté au plan médiatique à son Patron et non moins ami et à ses camarades de parti.
A l’orée donc de cette alternance, de nombreuses questions se posent Quel devrait être le nouveau visage des médias publics ? Le journal Télévisé va-t-il continuer à être la caisse de résonance de toutes les activités officielles du Président de la République, du Premier Ministre et de son gouvernement ? Les audiences du Palais feront-ils forcément l’objet d’une couverture par l’équipe média de la Présidence de la République ? Cette dernière constituée d’éléments de la RTS détachés sur place va telle continuer d’exister ? Le communiqué du conseil des ministres fera-t-il l’objet d’une lecture in extenso dans les JT au mépris des règles déontologiques ? Va-t-on continuer à subir ces commentaires dithyrambiques sur les activités officielles et non officielles de la coalition au pouvoir ? Après avoir fait le black-out total sur les activités de l’opposition, l’équilibre sera-t-il dorénavant rétabli avec un accès de toutes les composantes politiques au média public ? Des questions basiques certes mais qui cernent les contours d’un débat qui mérite d’être approfondi.
Reconnaissons à la Direction Générale, le mérite d’avoir fait faire à l’institution un bon qualitatif dans l’extension du réseau aussi bien pour la télévision que pour la radio avec la création de nouvelles entités régionales qui ont enrichi le paysage audiovisuel sénégalais et participé au décloisonnement de certaines régions. Au plan technique, un bond qualitatif a été aussi fait avec l’acquisition de matériels high tech qui garantit une très bonne qualité de réalisation et de réception sans compter de nouveau locaux ultra moderne. Avec tous ces moyens acquis grâce à l’argent public, il est temps que la Radiotélévision Nationale soit rendue au Sénégalais, Elle doit être aujourd’hui entre autres une plateforme de concertation permanente au profit des sénégalais de tout bord. Fini l’esprit de propagande, cette communication verticale incarnée par les régimes qui se sont succédés au pouvoir a fait son temps. Les nouvelles autorités n’en ont d’ailleurs pas besoin, en tout cas nous osons le croire. L’esprit incarné par la transition cadre mal avec une telle communication. Avec tous les moyens techniques comme humains dont il dispose, ce média public doit faire sa mue et apporté sa contribution dans la réalisation de ce renouveau que tous les sénégalais attendent dans tous segments d’activité du pays. C’est là que la Direction Générale et les journalistes sont attendus. Le nouveau régime n’a pas besoin de propagande, de cette communication d‘un autre temps qui risque d’ailleurs de produire le contraire des effets escomptés.
Des programmes éducatifs sportifs, culturels innovants des reportages instructifs, des débats équilibrés, de l’audace dans la création, une collaboration franche avec le média privés lors des grands événements, voilà ce que les sénégalais attendent dorénavant de leur média public. L’heure du changement a sonné. Nos concitoyens devraient avoir la preuve de cette rupture, de ce renouveau, tous les soirs en recevant dans leur foyer, les programmes de la télévision nationale. Malheureusement, cela n’en prend pas la direction depuis le 24 Mars dernier. On prend les mêmes et on recommence semble être leur crédo. Osons espérer que cela n’est que passager
Abdoulaye Sakou Faye, journaliste
Source : Sudquotidien