Momar Coumba Diop : l’aristocrate de la pensée !

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Momar Coumba Diop, devant la profondeur de la pensée d’Achille Mbembe, le surnommait l’aristocrate de la pensée. Mais faisant face au côté prolixe des travaux de Momar, sa perspicacité, sa domination des sciences sociales, ses multiples initiatives, il nous revient de déceler en lui, le véritable aristocrate  de la pensée. Un homme de savoir, féru de culture mais d’une humilité et générosité extrêmes. En vrai esthète, il aimait l’art, le beau, les habits raffinés et pouvait chanter la beauté de la femme sénégalaise. Rien n’échappait à l’œil de l’érudit qu’il était !

Nous venons de perdre un véritable frère. Au moment, où  nous aurions commenté les résultats des élections législatives françaises, tel un couperet, la nouvelle tomba : Momar Coumba Diop, le grand sociologue est décédé !

Dès que l’appel de son frère Yabsa s’afficha sur l’écran de mon portable- il était 18H 45- nous comprîmes tout de suite que le pire était arrivé car vers 13h,  nous avions parlé à sa fille Mamy qui veillait à son chevet à Paris.

Cela fait plus d’une semaine que nous le savions aux soins palliatifs mais nous refusions obstinément la réalité : Momar ne pouvait pas mourir comme ça; nous en avions perdu notre  énergie. Il est parti un peu trop tôt car il avait encore des chantiers à achever . Par exemple celui de la réédition de cet ouvrage collectif si important : « le Sénégal et ses voisins ou encore l’histoire de l’Université de Dakar ».

La vie de Momar se résumait à la production scientifique sur le Sénégal contemporain, l’édition chez Khartala et la relecture sans complaisance des textes de ses collègues, des jeunes chercheurs.

Nous concernant, il fut un formateur en permanence, tel un mentor de la jeune assistante au département d’Histoire à partir de 1986. Dans les années 90,  Momar, avec insistance nous orienta vers le CODESRIA . « Tu iras aux études sur le genre et Aminata Diaw vers la gouvernance ». D’ailleurs nous finîmes par y diriger deux gender Institute. Il veillait aussi sur nos lectures d’honnête citoyenne. ‘As- tu lu, Penda les travaux d’Abdoulaye Ly par exemple, le premier docteur d’Etat en Histoire? interrogea t-il.  Sachant que notre période d’études et d’enseignement est le Moyen âge  et ayant une vocation « politique », il nous  suggéra  d’étudier continuellement selon sa perspective, celle de la période contemporaine. Parfois, il s’agit d’auteur qui sort complètement de notre champ intellectuel comme le philosophe italien Domenico Losurdo. Ce dernier est aussi historien. En tant que communiste, il a produit une contre histoire du libéralisme remarquable!

Momar appelait affectueusement ses collègues ; Mamadou Diouf devenait Modou, Djibril Samb Djiby, Mamadou Mbodji , Mamaadou, Mahtar Diouf, Abdoulaye Bathily, Boubacar Barry, Charles Becker, Mouhammed Mbodj , Ebrima Sall ou encore Ibou Diallo… La dimension intellectuelle de l’individu primait chez ce grand penseur. Pour lui, par exemple Aminata Diaw , philosophe fut forte, même Abdoulaye Ly l’avait écrit soulignait-il. Il aimait Gaye Daffé  avec lequel, il a entretenu une relation de complicité  et qui le qualifiait d’intellectuel passionné et discret.  Il aimait travailler  avec Francois Boye, Alfred Inis Ndiaye, etc. Ibrahima Thioub fit une remarque fort appropriée après son départ à la retraite en 2015. «  L’évaluation des nombreuses contributions reçues a confirmé l’existence d’une véritable famille intellectuelle qui s’est créée durant les trois décennies au cours desquelles Momar Coumba Diop , en puissant inspirateur de recherches, a impulsé sans relâche la production des savoirs sur le Sénégal et l’Afrique ».

Momar fut le premier à avoir attiré notre attention sur les travaux de l’anthropologue  et activiste sud africain Archie Mafeje  de l’Ougandais Mahmoud Mamdani,  penseur de la liberté académique ou encore de notre regretté Sam Moyo du Zimbabwe, qui nous fit saisir l’enjeu de la terre , Afrique australe. Momar vouait une grande admiration pour Tandika Mkandawere, un des plus grands secrétaires exécutif du CODESRIA

Nous échangions beaucoup sur la vie politique au Sénégal et l’ouvrage qu’il a co-publié avec Mamadou Diouf,  le Sénégal sous Abdou Diouf, en 1992 est un incontournable pour comprendre les mutations rapides de la société sénégalaise on encore, l’ouvrage collectif qu’il a dirigé le Sénégal, trajectoire d’un Etat. Il a beaucoup aidé le Ministère de l’Economie  avec plusieurs études prospectives, des analyses, etc.

Momar Coumba, un esthète qui aimait le beau, l’art,  le raffinement. Il a inculqué à ses enfants , Mamy , Gnilane, Ada, une excellente éducation. Il aimait beaucoup sa famille, ses frères et soeurs. Il vouait à feu son père , El hadj Nieul Diop et sa mère Madjiguène Diop, un respect quasi religieux. Une grande complicité le liait à son oncle feu Maguatte Lo, grand homme politique et ministre sous LS Senghor. Il a étroitement travaillé avec ce dernier au moment où il rédigeait ses mémoires.

Momar va nous manquer et j’espère que l’Etat du Sénégal lui décerner à titre posthume, l’ordre national du Lion. Décoration méritée et qu’il a tant attendue.

Source : Sudquotidien

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