Note de lecture/ La Folie des jeux d’argent (Par Vieux Savane)

La Folie des jeux d’argent

Moukat Editions. 264 pages.

C’est un jeu, une activité à laquelle on se prête avec insouciance et légèreté. Seulement, on finit souvent par s’enliser tout doucement, profondément, dans le sable mouvant du jeu, jusqu’à se retrouver  dans une posture de dépendance absolue. Tombé en addiction, le joueur convulsif voit ainsi sa  capacité à décider par lui-même s’estomper peu à peu, à force d’avoir du mal à surseoir voire à différer  une irrépressible envie. En d’autres termes l’adepte aux jeux électroniques  court le risque de  ne plus être maître de ses actes.  Il se retrouve par contre,  « à l’insu de son plein gré»  à ne plus agir mais à être agi par un ensemble de pulsions qui le plongent dans le jeu. A son corps défendant, il passe ainsi du jeu qui aère l’esprit, d’un moment de détente donc, à ce qui ressemble à une descente aux enfers. Happé qu’il est dans une spirale qui le fait balloter entre l’espoir le plus fou de gagner le jackpot et la chute la plus brutale de constater avoir tout perdu.

Fort  de ces désastres qu’il a constatés au cours de sa minutieuse enquête journalistique opérée dans le milieu des casinos dakarois, l’auteur de l’ouvrage trouve que les nouveaux jeux d’argent électroniques, « dont le pari sportif a adopté et adapté le mécanisme », bouleversent la vie quotidienne de gens qui ont joué et tout perdu.  L’auteur  égrène  des cas d’école qui épousent  le visage d’un homme, d’une femme, qui portent leurs projets en bandoulière et les voient se déliter et se fracasser sur le rocher de leurs désillusions. Des exemples sont donnés pour dire que l’addiction dont il est question est chair et d’os. Elle fausse tout, met tout en l’air, déshumanise, parce qu’elle expulse la raison de son champ de vision, pour ne laisser place qu’à une sorte de compulsion pour le jeu. Un état d’esprit qui entraîne dans une détresse et une terrible angoisse  la personne qui, tout d’un coup, se retrouve défaite de toute sa richesse. Brutalement,  jusque ne plus en avoir, au risque de basculer  dans la délinquance, dans la folie. Surtout lorsqu’elle se retrouve face aux urgences à régler : se nourrir, payer le loyer,  la scolarité des enfants, les dettes. Selon l’auteur, « Naar bi », en référence au précurseur Libano-Syrien qui l’a disséminé dans les quartiers aura ainsi  contribué à beaucoup de drames personnels voire familiaux. Cela a par conséquent ruiné  et conduit de nombreux joueurs  vers «  la déchéance par l’accoutumance, la marginalisation  professionnelle et sociale, la prostitution, la délinquance ».

C’est ainsi qu’il dénonce « le jeu d’argent », comparé à un « tueur silencieux »  qui plus est, se développe « un peu partout dans les villes » avec ses « kiosques » qui « se sont intégrés au paysage et ont recréé  les ambiances des Fortune’s club ». Aussi l’auteur de militer pour la suppression des jeux d’argent électroniques et d’appeler à la vigilance des parents. S’y ajoute qu’ils fragilisent l’économie nationale par le biais de fraudes fiscales et constituent un danger mental pour les jeunes utilisateurs.

Edition réactualisée  de l’enquête intitulée « Le poker menteur  des hommes politiques », publié en 2006 aux « Editions Sentinelle », ce livre raconte la détresse d’hommes et de femmes qui ont perdu beaucoup d’argent puisqu’ils étaient emprisonnés dans les mailles du filet des jeux. Aussi,  très tôt, l’auteur  avait dénoncé un projet de mise en place de « machines à sous » par des Corses alliés à des politiques locaux. Ils comptaient implanter des milliers de machines à sous dans « les bas quartiers de Dakar » après avoir sévi dans différents pays d’Afrique centrale : Gabon, Congo, Cameroun, notamment. Ce livre est donc né d’une idée  de reportage de l’auteur, alors qu’il était à l’époque, directeur de publication du quotidien  « Taxi ».

Il s’est aussi intéressé aux dessous économiques, juridiques et politiques de cette activité commerciale.

Par le biais d’une enquête menée avec ténacité, l’auteur essaie  de débrouiller les fils de l’écheveau ‘ou démêler l’écheveau) empêtrée dans des imbrications  dans lesquelles pataugent des personnalités, des prêtes noms avec l’obsession tenace de profiter de leur situation pour se faire créer un espace de business.

Voilà une enquête journalistique minutieuse où l’auteur paye de sa personne pour nous plonger dans  l’univers impitoyable des jeux électroniques.

Et   il ressort clairement de cette enquête la fragilité des joueurs qui n’arrivent pas à asseoir leur lucidité et à couper le cordon, abimés qu’ils sont dans une dépendance déstabilisante qui n’épargne aucune couche sociale.

 

Sudquotidien

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