Avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, les Européens ont pris une leçon. Une dure leçon sur les rapports des forces entre les Nations et ont appris combien il était pénible d’être en face d’un interlocuteur qui vous fait savoir sans ménagement que « la raison du plus fort est toujours la meilleure ».
Se doutaient-ils que de nombreux chefs d’Etat ou hommes politiques africains ont vécu, face à leurs homologues occidentaux, un sort aussi humiliant, mais moins médiatisé, que celui du président ukrainien, sans que jamais la « communauté internationale » ne s’en émeuve ? En ne restant que sur le terrain des cahoteuses relations franco-africaines, on pourrait trouver une version africaine de son calvaire, de la plus anodine à la plus grave, et nous n’en relèverons ici que quelques exemples significatifs.
La souffrance de Zelenski avait commencé dès son arrivée à la Maison Blanche par cette remarque, dérisoire si l’on tient compte de l’enjeu de sa visite, sur son accoutrement. Il avait pourtant troqué son habituel tee-shirt kaki contre un pull noir, il « s’était mis sur son trente et un », avait ironisé Trump qui était loin de le défendre, mais on avait jugé que sa tenue de jogger était une offense à la solennité des lieux et même au peuple américain.
Umaro Sissoco Mballo, président de la Guinée Bissau, avait lui aussi, fait un gros effort vestimentaire en recevant son homologue français. Il s’était dit qu’à la télévision française les boubous et caftans africains, qui plus tard inspireront le couturier de Diomaye Faye, sont appelés « robes », ce qui ne pouvait que choquer sa masculinité peule, et avait donc endossé son plus beau costume. Mais voilà, Macron, dont le sans-gêne est bien connu, voulait faire peuple et avait tombé la veste, insistant pour que son hôte l’imite. C’est sans doute la première fois dans l’histoire des relations diplomatiques que le visiteur impose une tenue à celui qui le reçoit !
Après avoir subi l’estocade vestimentaire, le président ukrainien, placé loin de ses collaborateurs dans une salle remplie de journalistes complaisants et pris en tenaille entre le président et le vice-président américains, a vécu une scène « amazing », pour reprendre un des mots préférés de Donald Trump. C’est le porte-flingue de celui-ci qui assène le premier coup, si brutal que Trump lui-même s’en était étonné, en lui reprochant de ne pas avoir dit merci aux Etats-Unis qui avaient sauvé son pays de la débâcle militaire et sociale. Cela ne vous rappelle rien ? Ce sont, presque mot pour mot, les termes qu’Emmanuel Macron avait adressés aux chefs d’Etat africains, qui avaient décliné le maintien des forces françaises sur leur sol. Avec une différence de poids car contrairement aux pays africains, l’Ukraine, à ma connaissance, n’a jamais fait l’objet d’une exploitation coloniale par les Etats-Unis, ni versé le sang de ses fils pour la défense de leur territoire.
Donald Trump est enfin entré en scène pour asséner le coup de grâce. A sa manière. C’est-à-dire, brutale et sans nuances. Sa colère nous rappelle de vieux souvenirs, le bling- bling en moins et la morgue en plus, elle est identique à celle qui avait saisi de Gaulle, le 26 septembre 1958, après le discours prononcé par Sékou Touré devant l’Assemblée territoriale guinéenne.
Les grandes puissances ont l’égo délicat, la colère de de Gaulle et celle de Trump reposent sur la même argumentation et l’affront était impardonnable. Zelenski avait eu le tort de refuser de signer des accords pouvant compromettre le patrimoine et l’intégrité territoriale de son pays et avait plaidé pour la défense des valeurs démocratiques, Sékou Touré avait osé dire que « le premier et indispensable besoin de son pays était celui de sa dignité », qu’il n’y a pas de dignité sans liberté et que les Guinéens préféraient « la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage » ! Tous deux méritaient les mêmes sanctions et la première fut bien évidemment l’annulation pure et simple des rencontres et des diners initialement prévus. Le Général de Gaulle, qui sous le coup de la colère avait oublié son képi à l’Assemblée, ira même plus loin dans la mesquinerie puisqu’il refusera de laisser Sékou Touré s’embarquer dans l’avion qui devait les conduire ensemble dans la capitale fédérale de l’AOF, Dakar !
Humiliation pour humiliation, celle de Zelenski est au fond, toute relative puisque quelques rares Ukrainiens en étaient les témoins, alors que des centaines d’étudiants burkinabé ont écouté Macron, encore lui, se livrer à une blague douteuse, à la limite de l’offense, contre leur président en le traitant de vulgaire frigoriste parti pour réparer le fonctionnement, toujours aléatoire en Afrique, de la climatisation.
Pour en revenir aux choses sérieuses, et avant même ce que Donald Trump a appelé un excellent épisode de télévision, la conférence de Munich, consacrée en principe à la crise ukrainienne avait créé une fracture au sein des pays occidentaux. Le vice-président Vance, l’idéologue de Trump, avait fait hors sujet de manière délibérée, pour tancer vertement les Européens en les accusant d’avoir abandonné la liberté d’expression ! C’était le plus grave des péchés pour ceux-ci qui répètent pourtant à qui veut les entendre, qu’être démocrate c’est laisser s’exprimer ceux qui ne sont pas de votre avis et passent leur temps à nous admonester sur l’imperfection de notre démocratie, mais ne supportent pas qu’on leur fasse des remontrances dans un domaine dont ils prétendent assurer seuls l’état civil.
Les Béotiens que nous sommes ont en même temps découvert qu’ils étaient pris de panique à l’idée que les Etats-Unis puissent restreindre leur contribution à la défense de leurs Etats et compris pourquoi ils avaient du mal à comprendre notre prétention à vouloir assurer seuls notre propre sécurité. Eux qui se proposaient de nous protéger, même malgré nous, étaient en réalité des assistés, puisque les Etats-Unis, premiers contributeurs du budget de l’OTAN, assuraient à eux seuls 70% des dépenses militaires de l’organisation ! Comme s’ils découvraient pour la première fois Donald Trump, qui en est pourtant à son second mandat, ils ont aussitôt sonné le branlebas et appelé à la mobilisation générale des hommes et des moyens, à se préparer à la guerre plutôt qu’à chercher à préserver la paix. Ce remue-ménage a engendré des fanfaronnades, des excès de langage et quelques dissonances. Emmanuel Macron a préfèré, prudemment, tirer à boulets rouges sur Poutine, comme si Trump était sous son influence ou victime de son chantage, alors que son prédécesseur affirme péremptoirement que ce dernier « n’est plus l’allié des Européens puisqu’il a pactisé avec leurs adversaires », ajoutant qu’avec lui, il faut désormais renoncer à la « séduction et à l’argumentation » et user de la « force ». Passons sur le fait que Hollande, ancien président du « pays des Droits de l’Homme », pardonne plus facilement à Trump d’avoir promis « la mort au peuple de Gaza » que d’avoir humilié Zelenski.
Relevons aussi que même s’il ne parle pas des Etats-Unis mais de Trump et s’il ne dit pas, expressément, que le contraire « d’allié » c’est « adversaire », sa sortie à l’emporte-pièce, 40 jours à peine après l’arrivée au pouvoir de Trump, sonne bizarrement dans la bouche d’un homme qui a présidé aux destinées d’une Nation qui se vante d’avoir été le premier allié des Etats-Unis auxquels son pays doit sa libération et sa renaissance économique. Sans compter que Trump, connu pour sa nature versatile, dit ne plus se souvenir d’avoir traité Zelenski de dictateur. Mais Hollande n’exerce aucun pouvoir, le principal intéressé ne partage pas ses idées et son chantage à l’amitié exclusive n’est plus de mode depuis que Nelson Mandela a répliqué à Bill Clinton qui lui reprochait ses relations avec la Libye de Kadhafi que les ennemis des Etats-Unis ne sont pas forcément ceux de l’Afrique du Sud. Même si l’Occident considère encore que toute relation avec l’un des pays du trio diabolique (Chine, Russie, Turquie) est une compromission, François Hollande devrait savoir que Trump ce n’est ni Kadhafi, ni Tiani , que Zelenski a dit qu’il est tout prêt à retourner à la chambre des tortures, mais d’abord, il devrait commencer par nous expliquer quelle est la nature de la « force » à laquelle les Européens pourraient recourir pour faire plier l’homme que la grande majorité des Américains a porté au pouvoir !
Sudquotidien
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