Fonds Force Covid-19 : l’affaire en dix points

La procédure a entrainé une vague d’arrestations, la consignation de 258 millions de francs CFA et provoqué le déballage de graves irrégularités dans l’utilisation des 1000 milliards mobilisés sous Macky Sall dans le cadre de la riposte à la pandémie.  Voici un récapitulatif de la situation en attendant la suite des instructions qui se poursuivent.

1. Maître des poursuites

Après avoir reçu le rapport de la Cour des comptes sur la gestion des fonds Force Covid-19, la semaine du 7 avril, le procureur de la République, Ibrahima Ndoye, a déclenché l’enquête visant les personnes soupçonnées d’avoir détourné les ressources en question. Il a actionnée la DIC, qui a arrêté et déféré 27 suspects. Ces derniers ont été inculpés par les juges des 2e, 3e et 5e cabinets d’instruction du tribunal de Dakar.  

2. Faits visés

Le procureur de la République a ordonné l’ouverture de l’enquête sur l’utilisation des 1000 milliards de francs CFA du fonds Force Covid-19 après avoir reçu le rapport de la Cour des comptes y relatif, il y a deux semaines. «Des actes de prévarication ont bel et bien été identifiés», a justifié Ibrahima Ndoye en conférence de presse. Ceux-ci concernent notamment, d’après le ministère public, des surfacturations, des pièces justificatives douteuses ou introuvables et des dépenses sans lien avec la Covid-19.  

3. Macky Sall, les 500 millions F CFA et les «ténors»

Selon l’ancien Dage du ministère de la Culture, Léonce Nzally, sur le 1,2 milliard de francs CFA reçu du ministère des Finances, son département avait économisé 500 millions. L’excédent a été signalé au Président Macky Sall par le chef de la tutelle à l’époque, Abdoulaye Diop. L’ancien chef de l’État, d’après Nzally, aurait ainsi demandé à ce dernier de remettre le demi-milliard aux «ténors de la musique sénégalaise», lui remettant, précise la même source, une liste des ayants droit avec le montant correspondant pour chacun. Affirmant que l’affaire a été traitée à son insu, l’ancien Dage a déclaré n’avoir pu identifier que 18 bénéficiaires, soulignant que la liste n’est pas exhaustive.   

4. Inculpations

Au total, 27 des 28 personnes visées dans le cadre de l’enquête sur l’utilisation des fonds Force Covid-19 ont été inculpées de différents chefs par les juges des 2e, 3e et 5e cabinets, chargés du dossier. Ce sont d’anciens Dage, des fournisseurs et des bénéficiaires des ressources mobilisées dans le cadre de la lutte contre les effets néfastes de la pandémie sur les activités des secteurs socio-économiques. La plupart a recouvré la liberté après avoir consigné les montants en cause. Cinq ministères sous Macky Sall (voir ci-dessous) pourraient être à leur tour inculpés et, le cas échéant, traduits devant la Haute cour de justice.

5. Consignations

Certaines des 27 personnes inculpées dans l’enquête sur la gestion des fonds Force Covid-19, ont cautionné au total 258 millions 448 mille 233 francs CFA. Le montant, qui a été déposé à la Caisse des dépôts et consignations (CDC), pourrait augmenter, selon le procureur de la République, Ibrahima Ndoye, qui a signalé que les inculpations se poursuivent. «Si à l’issue de la procédure la personne [visée] est condamnée, les sommes reviendront au peuple qui avait mobilisé ses maigres ressources», a rappelé le maître des poursuites.  

6. Régularisation

Parmi les 27 personnes inculpées, les uns ont recouvré la liberté après avoir consigné l’intégralité des montants en cause. D’autres sont rentrés chez eux pour avoir opposé aux accusations des «contestations sérieuses». Dans cette catégorie, l’on retrouve l’artiste Baba Hamdy, l’animateur Tange Tandian et le communicateur traditionnel Abdou Aziz Mbaye. Convoqué pour 112 millions de francs CFA, le premier a présenté au juge du 5e cabinet les pièces justifiant l’utilisation de 110 millions et accepté de consigner 2 millions représentant le montant dont la destination n’est pas clarifiée. Tandian, pour sa part, est resté libre sans consigner le moindre franc. D’après L’Observateur, l’animateur aurait présenté des décharges qui couvrent l’intégralité des 73 millions dont il devait justifier la destination. Le journal rapporte qu’il a été placé sous contrôle judiciaire, interdit de quitter le territoire national (passeport saisi) et invité à se présenter chaque mois devant le juge du 5e cabinet, chargé de son dossier. Abdou Aziz Mbaye, lui, a justifié l’utilisation de 146 millions sur les 150 millions pour lesquels il est inculpé. Pour obtenir la liberté provisoire, il dut consigner les 4 millions restants.  

7. Affaire dans l’affaire

Même si les deniers en question proviennent des fonds Force Covid-19, objet d’une enquête de la DIC ordonnée par le procureur de la République, l’affaire de détournement présumé de 500 millions de francs CFA à l’Agence nationale de la maison de l’outil (Anamo) a été confiée à la Section de recherches de Thiès par le Parquet financier. Dans ce dossier, l’ancien directeur administratif et financier de la structure, O. Ndiaye, et 16 autres personnes, essentiellement des fournisseurs, sont poursuivis pour détournement de fonds publics. Le premier s’est déchargé sur l’ex-directeur général de l’Anamo, Maodo Malick Mbaye. «Seul le DG avait le pouvoir de signature en matière de marchés publics», a-t-il déclaré face aux gendarmes. Localisé au Maroc, son ancien patron a contesté avoir fui. Sur Dakaractu, Mbaye assure qu’il est dans le Royaume chérifien parce qu’il préside le Groupe d’initiatives pour une médiation à l’Africaine (Gima) dont le siège est basé à Rabat. Sur le fond, il jure n’avoir «posé aucun acte délictuel», soulignant qu’il n’a d’ailleurs jamais été convoqué par la justice pour cette affaire.

8. Failles du rapport de la Cour des comptes

Si, manifestement, elles ne remettent pas en cause la crédibilité de ses conclusions, le rapport de la Cour des comptes sur la gestion des fonds Force Covid-19 présente quelques failles. Celles-ci sont apparues au détour des auditions de certains mis en cause comme l’importateur de riz Moustapha Ndiaye et l’ancien Dage du ministère de la Culture Léonce Nzally. Convoqué pour des soupçons de surfacturation sur un marché de 30 000 tonnes de riz commandées par le ministère du Développement communautaire, le premier est sorti libre de son face-à-face avec les enquêteurs. Il aurait été sauvé par le fait que la Cour des comptes a convoqué un arrêté caduque pour étayer ses soupçons. Il s’agit du texte fixant le prix de la denrée adopté en 2013 alors que les faits visés se situent en 2020. «Le cadre juridique en matière de vente de denrées alimentaires repose, sauf exception, sur la liberté des prix, rappelle L’Observateur. […] Ainsi, expliquent des sources judiciaires, dans le cas de Moustapha Ndiaye, le care légal ne permettait pas d’appliquer une grille tarifaire fixée [en 2013].» L’ancien Dage du ministère de la Culture, invité à s’expliquer au sujet d’un montant de 1,2 milliards de francs CFA, a pour sa part signalé aux enquêteurs de la DIC que «la Cour des comptes aurait fait une erreur d’appréciation par rapport à la vérification de certaines pièces justificatives». Libération, qui donne l’information, ne précise par l’«erreur».

9. Cinq ministres en sursis

Dans le cadre de l’enquête sur la gestion des fonds Force Convid-19, 27 personnes sont inculpées par les juges des 2e, 3e et 5e cabinets, chargés de l’affaire. Cinq ministres sous Macky Sall sont également visés. Le procureur général près la Cour d’appel de Dakar, Mbacké Fall, qui a donné l’information en conférence de presse, s’est gardé de citer des noms, concédant juste que les enquêtes concernent huit ministères et des faits de détournement de deniers publics, d’escroquerie portant sur les deniers publics, de concussion et de corruption. L’Observateur croit savoir que Abdoulaye Diouf Sarr (Santé), Mansour Faye (Équité sociale et territoriale), Matar Bâ (Sports), Abdoulaye Diop (Culture) et Moustapha Diop (Industrie) sont les ministres en question. S’ils devaient être traduits en justice, ils répondraient devant la Haute cour de justice.

10. Grincements de dents

Le Code de procédure pénale offre aux personnes inculpées de détournement, d’escroquerie et de soustraction sur les deniers publics, la possibilité de consigner pour obtenir la liberté provisoire. Plusieurs mis en cause dans l’affaire de la gestion des fonds Force Covid-19 ont recouru à cette disposition légale pour éviter la prison. Au grand dam de Waly Diouf Bodian. Directeur général du Port de Dakar et responsable de premier plan de Pastef (au pouvoir), ce dernier s’insurge : «Le dossier Covid-19 risque de flopper du fait de la possibilité offerte à des milliardaires de cautionner pour recouvrer la liberté.»

 

Seneweb

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