Le 26 septembre 2002 le Sénégal vivait un événement tragique qui marquera à jamais son histoire. Loin d’être une fatalité, le drame du naufrage du Joola est l’illustration terrifiante d’un pays où les responsabilités sont prises à la légère.
Ce 19e anniversaire de la plus grave catastrophe maritime de l’histoire depuis le Titanic coïncide avec la célébration du retour en exil de Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur du mouridisme. Hasard du calendrier ou signe divin ? Ces deux événements auront le mérite de marquer à jamais notre histoire commune.
La conscience collective à l’obligation d’ancrer le Joola dans sa mémoire, non pas pour se limiter uniquement aux prières à l’endroit des victimes, mais surtout pour en tirer les leçons qui réduiront les risques de catastrophes similaires.
Le jour où j’ai voyagé à bord du bateau Aline Sitoé Diatta en juin 2016 jusqu’à Ziguinchor, j’ai longuement médité sur le naufrage du Joola. Le choc assourdissant des vagues en haute mer tard la nuit m’a amené à me représenter la mort atroce des centaines de victimes du Joola, enfants, femmes, hommes, jeunes et vieux, Sénégalais et étrangers. J’ai en ai eu le cœur meurtri. Mon esprit de croyant m’a finalement poussé à la résignation avec une forte pensée à la mémoire de tous ceux qui ont perdu la vie dans le Joola.
L’annonce du naufrage du bateau le Joola
C’était un vendredi 27 septembre 2002. J’étais âgé d’une dizaine d’années et je vivais chez mes grands parents à Sacré-cœur 1. La triste nouvelle nous a été annoncée par la radio Walfadjri dont le générique du journal « Chariots of fire » était connu pour son utilisation avant l’annonce des informations importantes.
Nous étions tous sous le choc après l’annonce de la nouvelle. Je retrouvais après mes amis au terrain de foot. Mais personne n’avait le cœur à jouer. Tout le monde parlait du naufrage, des connaissances éventuelles proches ou lointaines qui auraient pu emprunter le bateau, des causes, des circonstances du naufrage etc. Je n’oublierai jamais ma discussion avec un de mes camarades de jeu et voisin. Il s’appelait Alex. Pour lui, il était hors de question que l’on évoqua la volonté de Dieu. La responsabilité des autorités en charge de la gestion du bateau était évidente. Et en tête de liste, le président de la République et son gouvernement. Il ne voulait pas que l’on résuma l’affaire par notre fatalisme légendaire qui consistait à tout ramener à Dieu. J’étais d’accord avec lui. Le naufrage était le résultat de notre négligence. Cependant je finissais toujours par dire « mais bon c’est la volonté divine après tout ». C’était un réflexe et je n’y faisais pas attention. Ce qui ne manquait pas d’irriter Alex qui était issue d’une culture différente de la mienne.
Aujourd’hui je me rends compte que ma réaction d’enfant était fortement influencée par ma culture sénégalaise qui avait tendance à tout ramener à Dieu sans mettre en évidence notre part de responsabilité.
Le Joola c’est aussi la conséquence de notre conception simpliste de la notion de responsabilité. Nous créeons par notre propre négligence et par notre manque de rigueur des catastrophes que nous allons facilement imputer à Dieu pour soulager notre conscience. Mon ami Alex avait raison : le Joola c’est d’abord le naufrage de notre conception banale et irresponsable de nos obligations.
Et au-delà de l’absence totale de quelconques sanctions envers les responsables de cette tragédie, il est impardonnable que l’on ne puisse toujours pas avoir une idée exacte sur le nombre de victimes. Encore un signe de notre manque de rigueur, de sérieux et d’organisation. À ce propos le comité du mémorial du Musée du Joola interpellait à l’occasion du 15e anniversaire du naufrage en ces termes :
« Le bilan humain des catastrophes, quel que soit leur ampleur, est toujours connu dans les sociétés modernes. Concernant Le Joola, la question du nombre de victimes est une question sans réponse pour le moment. Le bilan officiel communiqué par le Premier Ministre lors de la Déclaration de Politique Général (3 février 2003) est de 64 rescapés et 1863 morts ou disparus. Pour le Collectif de Coordination des Familles de Victimes du Joola (CCFV-J), il y a eu 1953 morts ou disparus provenant de 12 nationalités (Sénégal, Guinée Bissau, France, Espagne, Ghana, Hollande, Suisse, Belgique, Cameroun, Norvège, Liban, Niger). Donc, 1863 ou 1953 morts ou disparus ? Dire que Le Joola était autorisé à embarquer seulement 550 passagers ! D’ailleurs, jusqu’à présent, aucune liste officielle de victimes n’a été rendue publique ». LE JOOLA – AN XV – AMNESIE OU BANALISATION ? Bref aperçu historique (Par le comité du mémorial musée)
Je ne reviendrai pas sur les causes du naufrage dont la surcharge des passagers et du fret sont les plus manifestes. Encore une preuve évidente de notre négligence légendaire.
Aujourd’hui nous prions encore pour les nombreuses victimes du Joola. Mais il est tout aussi important de rappeler que si l’Etat et la société sont organisés et hiérarchisés c’est pour nous puissions définir et identifier les responsabilités à chaque niveau. La tragédie du Joola demeure un rappel sévère de notre irresponsabilité dans la gestion des affaires publiques et notre fâcheuse culture du « Yalla bax na ».
Reposez en paix, chères victimes!
Chérif Abdoul Aziz Touré
Directeur de Dabakh FM